L'Éditorial
Silence dangereux
par
Ali Mmadi
Depuis plusieurs semaines
maintenant, il se passe dans notre pays, et plus précisément
à Ngazidja, quelque chose de très grave. Qui menace à la
fois la démocratie, la morale et l’éthique politiques. Et
pourtant pour le nouveau pouvoir, ces deux valeurs feraient
partie de son étendard. Difficile de croire. Mais aux
Comores tout le monde le sait, on a l’habitude de dire tout
et son contraire à la fois. Alors, qu’est-ce qui se passe à
Ngazidja ?
Le 24 juin dernier, Mohamed
Abdouloihabi a été élu président de l’île. Sa victoire est
éclatante et personne ne peut la contester, du moins
légitimement. Jusque-là tout va bien.
Mais son élection a provoqué
immédiatement dans l’île et dans le pays une situation
inédite, choquante, qui risque de nous coûter très cher.
Mais personne ne semble le constater.
En fait, Madame Aboudou Ralia,
l’épouse du président Abdouloihab, cumule désormais
plusieurs fonctions importantes et incompatibles. Elle
continue de diriger l’ORTC(Office de radio et de télévision
comorienne) qu’elle a hérité de Mohamed Ahamada, licencié
par le vice-président Idi en novembre 2006 ; elle est tout
naturellement la première dame de l’île ; mais en même temps
elle occupe, de fait, le poste de conseillère spéciale à la
présidence.
On connaît son influence
particulière sur les décisions de son mari. Et on sait
surtout dans quelles conditions le premier gouvernement de
celui-ci a été formé.
Et pourtant tout le monde
somnole. Aucun homme politique, aucun intellectuel, même pas
un journaliste ne lève son petit doigt pour s'indigner ou
s’opposer à cette symphonie aberrante. Comme si tout cela
était normal.
Il ne faut pas voir du
machisme dans notre propos, ni de haine. Loin de là. Notre
inquiétude c’est de voir notre pays se refermer ainsi dans
ses turpitudes et de continuer d’être une espèce de
pétaudière. Nous voudrions vivre dans un pays de droit où la
liberté de chacun et la transparence dans l’action publique
seraient respectées.
Voilà pourquoi nous pensons
que si on veut garantir la liberté des journalistes et le
droit à l'information pour les citoyens de notre pays, les
médias, fussent-ils publics, ne doivent plus être sous le
contrôle de la présidence. Laisser son épouse continuer
d'occuper le poste de directrice de l'ORTC, le président de
l'île autonome de Ngazidja crée délibérément l’amalgame et
bafoue la morale politique.
Concernant son rôle au sein
de l'exécutif de l'île, rien ne peut sembler choquant que
madame Aboudou Ralia, une femme intelligente et très active,
épaule son mari dans l'exercice difficile de ses fonctions.
Mais son rôle ne doit pas être sans limite. Ce n'est pas à
elle, par exemple, de décider à la place de son mari
président, de prendre les décisions les plus graves ou de
représenter l'île auprès des autres institutions. Cette
distinction est indispensable, notamment pour le respect du
suffrage universel qui s'était exprimé en faveur de Mohamed
Andouloihabi.
Ali
Mmadi
Lettre aux présidents des îles
par Ali Mmadi
Messieurs les présidents,
Vous venez de remporter respectivement les
élections présidentielles des îles autonomes de Ngazidja et
de Mwali. Vous avez donc la charge de mener, à travers les
crises et le désarroi, le destin de ce pays durant les cinq
prochaines années.
Vos victoires du 24 juin sont incontestables.
Le peuple a tranché. Il n’y a rien à redire. Mais avant que
l’ivresse du pouvoir ne vous accapare, je tenais à vous
rappeler que ces victoires ne sont pas les vôtres, même si
vous les symbolisez. Les Comoriens n’ont sans doute pas voté
pour vous, car vos personnalités n’incarnent pas la
modernité, et encore moins le courage politiques. Ni pour
vos projets, car vous n’en aviez pas. Seulement, ils ont
fait le choix de la cohérence, de l’harmonie entre le
pouvoir central et les îles autonomes. Ils ont voulu sortir
le président Sambi de la cohabitation inattendue dans
laquelle s’était-il trouvé depuis son élection en mai 2006.
Les Comoriens des deux îles ont ainsi
souhaité lui donner les pleins pouvoirs pour agir, s’il en a
encore de ressources. Ils ont choisi de prolonger son état
de grâce et de lui donner une deuxième chance. Ils ont
surtout voulu marquer leur solidarité vis-à-vis d’un
président affaibli et martyrisé par la crise anjouanaise.
En tout cas c’est fait. On le sait, tout le
monde sait, maintenant l’Union, Ngazidja et Moili font
pratiquement un seul bloc, une seule entité gouvernée par le
même homme. On a vu le mélange de genre qu’il a y eu dans la
composition des nouveaux gouvernements des îles. Comme si on
assistait à un système d’affectation administratif. Mais
bon, l’essentiel c’est que le pays avance, renonce aux
mauvaises habitudes et aux comportements malsains. Voilà ce
qu’on attend de vous et de M. Sambi. Tous les projecteurs
seront braqués là-dessus. Fini le temps où l’on disait :
« on m’empêche de… ; j’ai voulu faire mais… ».
Tout dépend désormais de la même volonté,
celle du président Sambi, bien sûr aussi de la bénédiction
d'Allah. Et voilà le danger qui vous guette.
Même si les Comoriens ont voté pour la
cohérence et pour la fin du bras de fer entre présidents,
ils attendent plus que cela et, ils seront exigeants.
Même si les querelles de compétences durant
ces dernières années ont poussé le peuple à mettre vos
bulletins dans l’urne, ils veulent tout de même que leurs
intérêts soient mieux défendus ; que l’Union n’absorbe pas
les îles ; que la situation d’Ajouan ne freine plus leur
développement. Bref, que la politique d’étouffement ne soit
pas reconduite aux dépens des deux îles qui, jusque-là,
n’ont rien à se reprocher.
Ça c’est aussi votre rôle. D’être les
gardiens des intérêts de chaque île et de lutter contre les
dérives et la politique laxiste à l’égard des séparatistes
et des preneurs d’otages d’Anjouan. Sinon, la sanction ne
tardera pas à venir, notamment lors des législatives du
premier semestre de 2008.
Si vous avez bien compris que votre élection
porte ces deux messages-là, montrez-vous aptes à les
répondre.
En tout cas c’est l’exigence du peuple et de
la politique. Et elle est plus que jamais très forte. Certes
l’histoire est injuste, elle vous demande de réparer les
erreurs du passé. Mais vous l’avez bien désiré, il faut
aussi l’assumer.
Ali Mmadi
L’ambitieux et le
gâté
par Ali Mmadi
Il est parfois des décisions dont on ne
mesure pas l’importance, ou plutôt les conséquences. Le vote
du 10 juin dernier, en Grande-Comore, en est l’illustration.
Le choix des électeurs a été très clair : ils ont rejeté
tous les acteurs de la politique politicienne et les
idéologues fantaisistes pour préférer deux personnalités
atypiques, relativement nouvelles et aux idéologies peu
perceptibles, mais diamétralement opposées. L’une étant un
fort ambitieux du pouvoir, et l’autre, un enfant gâté de la
République.
Sans doute Me Said Larifou est un
homme ambitieux. Il veut le pouvoir, il n’y pense pas
seulement quand il se rase. Mais tout le temps. Depuis dix
ans, il se bat, il s’investit totalement pour cet unique
objectif : gouverner les Comores. C’est pourquoi il a créé
son propre parti, le Ridja, et organisé ses réseaux
personnels pour l’appuyer en cas de réussite.
Certains le critiquent de s’être trop engagé
dans cette voie, de se sacrifier pour un peuple qui n’a
jamais été reconnaissant. D’autres lui en veulent d’être une
menace contre leurs intérêts. Ils l’accusent de tout. D’être
pressé, affolé par l’argent, de traiter avec des hommes et
des réseaux dangereux, de bénéficier de financements
occultes, et surtout d’être un éventuel danger pour la
religion et la tradition du pays.
Tous ces arguments sont légitimes, mais il
est très difficile de les confirmer sans preuves constituées.
L’intéressé ne cesse depuis longtemps de se défendre de
toutes ces arguties. « Je suis le seul homme politique
comorien qui utilise mes moyens personnels pour l’intérêt de
mon pays », répète-t-il. Mais rien n’y fait. Ses détracteurs
continuent de l’accabler. Sans fondement.
Lui aussi, ne s’arrête pas, fonce droit au
but. Il
multiplie les actions de terrain notamment en faveur de la
jeunesse dont il est devenu l’étendard, selon nos
confrères d’Alwatwan. Si aujourd’hui, il s’en est
sorti au cœur de l’étau, c’est grâce à cela.
Une chose est
certaine : Me Larifou veut le pouvoir et ce n’est pas une
honte, il n’est pas le seul d’ailleurs. Ce qui est encore
mieux c’est qu’il explique ce qu’il veut en faire. De toute
façon, s’il est élu dimanche, on aura cinq ans pour mesurer
ses capacités et vérifier ses intentions.
Mohamed abdouloihabi,
lui, est un homme calme, apaisé et expérimenté. Il n’a
jamais manifesté son désir du pouvoir, peut-être parce qu’il
n’en avait pas besoin. Cet ancien juge réputé d’honnêteté et
d’intégrité n’a jamais eu de peine pour rentrer dans les
affaires.
Depuis 1992, il ne cesse de gravir les échelons du
pouvoir : deux fois ministre sous Said Mohamed Djohar, une
fois sous Mohamed Taki, conseiller juridique du gouvernement
putschiste du colonel Azali et récemment, dans le premier
gouvernement Sambi, directeur de Cabinet chargé de la
défense. Et à chaque fois, il est sollicité. Sans doute
grâce à sa docilité, à sa loyauté, à l’image d’homme
courtois, intègre, respectueux des traditions qu’il véhicule
depuis plusieurs années.
Voilà pourquoi il est devenu
l’enfant gâté de la République. Il a toujours pensé que,
grâce à son attitude et son expérience, les Comores auront
besoin de lui quelque soient les gouvernants. Aujourd'hui,
il a compris que tout a changé, que les compétences ne sont
plus rares. Il faut faire face à la rudesse et à la cruauté
de la concurrence.
Mais ce qui intéresserait les électeurs de
Ngazidja à une semaine du scrutin, c’est son bilan.
Qu’a-t-il apporté au pays? Tout le paradoxe est bien là, il
fait campagne seulement sur ses qualités intellectuelles et son
expérience, sans revenir sur ces années ministérielles.
Peut-être que la question ne lui est pas encore posée.
Il martèle aussi que son programme sera celui
du président Sambi, alors que l’on sait que Ngazidja a
besoin d’une véritable feuille de route pour se relever.
Tout cela montre combien sa candidature a été improvisée. Mais
avec tout le pouvoir et les médias publics derrière lui, il
a mille et une raison de croire en la victoire. Et le bilan,
on pourra peut-être le faire cinq ans après.
Ali Mmadi
Mohamed Bacar est-il devenu fou ?
Par
Ali Mmadi
Depuis 2002,
le chef de l’exécutif de l’île d’Anjouan, le commandant
Mohamed Bacar ne cesse de multiplier les menaces, les
manœuvres d’intimidation et de déstabilisation à l’égard des
autorités de l’Union.
Déjà sous la
présidence du colonel Azali, il a brandi constamment le
drapeau séparatiste pour s’opposer à toutes les décisions du
pouvoir central. Il pratiquait même le chantage parfois,
pour dissuader le gouvernement ou pour tenter de soutirer
quelques fonds des caisses de l’Etat, alors que dans les
autres îles la crise faisait rage.
En janvier
2003 par exemple, les autorités anjouanaises avaient
décidé d’enlever le drapeau national pour protester contre
un décret présidentiel fixant la nature et les missions des
forces de sécurité intérieure des îles autonomes au sein de
l’Union. Elles n’ont pas hésité également de bouder à la
fête nationale du 6 juillet et d’organiser la fête insulaire
marquant le début du séparatisme dans l’île.
Tout a été pensé, organisé
et mis en œuvre minutieusement pour horripiler le peuple
comorien, saper l’unité nationale et surtout pour affaiblir
encore un peu plus l’Etat comorien.
Mais, tout le monde pensait
naïvement que sous la présidence anjouanaise, tout cela
allait changé ; qu’il y aurait un accord, même de grâce,
entre Anjouanais pour que l’Union sorte de l’impasse ; ou
encore que le nouveau président allait conjurer les
habitants d’Anjouan de l’aider à réussir le pari.
Et bien, il n’en est rien.
Le commandant Bacar continue son jeu après l’élection
d’Ahmed Abdallah Sambi. Il demeure impavide devant la crise
du pays. Son énergie, son audace et ses capacités militaires
sont mises, sans aucun état d’âme, au service de son
entreprise de démolition. L’étonnement aujourd’hui, c’est de
voir que cette attitude irresponsable est soutenue par
plusieurs membres du pouvoir sortant ; que des ex-unionistes
promeuvent sa stratégie et renforcent donc sa posture.
Fin décembre 2006,
la brigade du Port de
Mutsamudu, sous les ordres du président Bacar avait saisi un
équipement militaire en provenance de Moroni destiné au
bureau régional du commandement de l'AND à Anjouan, inauguré
quelques heures plutôt.
Au mois d’avril 2007, il
refuse d’exécuter
la décision de la cour constitutionnelle lui imposant de
quitter le pouvoir après l’expiration de son mandat. Cela a
déclanché l’affrontement entre la
gendarmerie d’Anjouan, toujours sous les ordres de
l’autorité de l’île, et les forces régionales de l’Armée
nationale de développement, établies à Anjouan. Résultas :
deux morts et plusieurs blessés.
Enfin, à quatre jours des
élections, le commandant Bacar et ses forces de gendarmerie
empêchent le président des Comores et les forces de
sécurisation des élections envoyées par l’Union africaine de
se rendre à Anjouan. Et quand le gouvernement de l’Union,
constatant le climat difficile et délétère, propose un
report de l’élection, le même Bacar s’étonne et exige le
respect du calendrier électoral dans toutes les îles.
Tout cela paraît absurde,
confus et illogique, mais on sait peut-être l’objectif :
Bacar ne veut pas quitter le pouvoir. Il est vrai, c’est
cruel. Mais bon, c’est aussi la règle. La meilleure. Il a
oublié que le jeu était fait ainsi : une élection
démocratique tous les cinq ans ; et que le meilleur gagne.
Dans son petit monde, il n’y
a que lui et son avenir personnel qui comptent, il pense
toujours qu’il a le droit d’accaparer le pouvoir comme en
2001 quand il avait renversé son ami Abeid.
Pourquoi Mahamed Bacar fait
cette nique à tout le monde, aux Comoriens d’abord, à la
communauté internationale ensuite, puis à Sambi et surtout
aux habitants d’Anjouan ?
Ne serait-il pas devenu fou ?
Oui, fou de pouvoir, mais aussi fou tout court. Si c’est le
cas, il faudrait qu’il soit arrêté, jugé et interné parce
que le sort d’un fou à ce stade ne peut être que celui-la.
Mais pour en arriver là, il
faudrait aussi un pouvoir central, brave, courageux et
audacieux. Ce qui manque sans doute à notre pays depuis
plusieurs années.
Ali Mmadi
Chienlit
On
le prédit depuis plusieurs semaines, comme si c’était une
évidence. L’élection présidentielle des îles attire les
convoitises. Elle permet surtout de mesurer la fracturation
multiple qui désoriente la société comorienne et le degré
d’opportunisme dans lequel plonge la classe politique.
On croyait que la
politique avait encore un sens, qu’elle avait pour but la
recherche de l’intérêt général. Là, on vient de recevoir un
démenti formel, catastrophique et désespérant. Plus de 35
candidats pour une population d’environ 700 000 habitants, c'est
une mascarade. C’est la preuve qu’il n’y a rien à défendre. Rien
de sérieux en fait.
Comment peut-on justifier cette
chienlit qui fait honte à notre pays et qui déshonore la
politique? Comment doit-on expliquer ce phénomène de « moi-aussi-je-veux-être-candidat »
qui enfuit la politique comorienne dans son plus bas niveau, et
qui va sans doute priver encore une fois la population
comorienne du débat électoral tant attendu.
En réalité, cela reflète le
climat délétère et la démocratie bigleuse entretenus dans notre
pays depuis plusieurs années. Et la politique molle menée durant
ces derniers mois n’est pas sans incidence. Bref, tous les
ingrédients nécessaires pour exploser une nation sont réunis.
Entre un président de l’Union peu imaginatif, moins audacieux et
des présidents des îles très capricieux et moins coopératifs,
cette mascarade était prévisible. Ce nombre pléthorique de
candidats notamment à Ngazidja où le combat d’ego et la soif de
pouvoir ont atteint un niveau incontrôlable, démontre l’échec de
Sambi et son incapacité de rassembler un peuple qui l’a
plébiscité il y a juste dix mois.
Ali
Mmadi
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