Appelez-le par
son vrai nom, Djaffar Salim Allaoui. Le ministre de
l’Intérieur de l’île d’Anjouan y tient. Il ne veut
surtout pas être assimilé à Nicolas Sarkozy, son
homologue français. L’homme n’a pas perdu de sa fougue ;
son verbe est toujours tranchant, incisif. L’ambassadeur
Madéira l’a appris à ses dépens. Dans l’interview qui
suit, il parle de l’actualité et de tous ces sujets qui
ont projeté l’île d’Anjouan sous les feux de la rampe.
L’envoyé spécial
de l’Union Africaine aux Comores, M. Madéira, invite les
différentes parties comoriennes à reprendre les
négociations sur le partage des compétences. Dans
quelles dispositions d’esprit l’île d’Anjouan
aborde-t-elle ces nouvelles discussions ?
Anjouan
est sereine. Elle a beaucoup investi depuis le 17
février 2001. Nous avons toujours été le pivot du Nouvel
ensemble comorien, en tout cas de la nouvelle
architecture politico-institutionnelle du pays. On est
en droit d’être fiers. Maintenant, si le nouveau
dispositif est adapté ou non, c’est aux Comoriens, et
seulement aux Comoriens, de faire l’évaluation.
Quels ont été vos préalables à la
reprise des négociations ?
La
commission d’accompagnement et de transfert des
compétences a travaillé d’août à décembre 2006 et
planché sur quatre textes de loi : la loi sur
l’organisation judiciaire, celle du statut du magistrat,
la loi sur les sociétés d’Etat et les établissements
publics et la loi relative à la mise en place de la
force de sécurité intérieure. Cette commission avait
pour mission de relever les sujets objets à controverse
et de donner une meilleure définition pouvant permettre
une mise en œuvre de ces textes. On a fait un bon bout
de chemin. L’essentiel du travail a été fait, mais on a
buté sur la question qui fâche, celle de la mise en
place de la force de sécurité intérieure (FSI). Ce ne
devait pas être le cas en réalité. En effet, la loi
relative à la sécurité intérieure énonce en substance
que « la FSI est une force de police permanente à
caractère militaire de première et seconde catégorie ».
Et l’article 2 précise que la FSI a pour mission le
maintien et le rétablissement de l’ordre, la sécurité et
la protection civile, police administrative et
judiciaire. Dans le même article, le législateur a
renforcé ces unités en leur conférant la possibilité
d’assurer en tout temps le bon ordre, la sécurité et la
sûreté de l’île.
Le
président de la République a promulgué cette loi.
Restait dès lors à passer à l’application.
Qu’est-ce qui s’est passé entre
temps ?
On se
heurte à la redéfinition d’un concept qui n’existe pas
dans la loi sur la FSI, celui du type d’armement
approprié. Ce concept n’a pas sa place et ne figure
nulle part dans la loi. Le président de l’Union a
désigné une commission d’experts nationaux composé
exclusivement de Grand-comoriens et leur a demandé, par
le truchement de la commission, de lui remettre un
rapport en vingt-quatre heures. Ces experts ont
travaillé d’arrache-pied et je tiens ici à les féliciter
pour la qualité de leur travail. Ils sont restés dans
l’esprit de la loi. Donc, ce n’est qu’un faux problème.
Maintenant, on veut encore définir l’armement de guerre
de l’And. Dans cette affaire, le législateur est mis en
cause, les membres de la commission d’accompagnement et
de transfert de compétences se sont sentis froissés, le
travail des experts nationaux a tout simplement reçu de
l’Union une fin de non recevoir. Cela fait trop.
L’île d’Anjouan dispose, depuis la
crise séparatiste, d’un stock d’armes qu’elle aurait dû
remettre à l’armée nationale. Quand est-ce que vous
allez le faire ?
Je peux
poser la question autrement : quand est-ce que l’armée
nationale sera disposée à nous remettre les armes qui
nous reviennent de droit. Je pense qu’il faut avoir la
force morale d’aborder en toute honnêteté les vrais
problèmes. Ces problèmes existent au niveau des îles,
mais aussi au niveau de l’Union. De grâce, ne cherchez
pas à indexer une partie. Cela ne résoudra rien.
L’île d’Anjouan a dernièrement
confisqué des armes destinées au commandement régional
de l’And à Anjouan. La date de remise de ce stock
d’armes et d’équipements militaires a été fixée au 14
janvier. Cela n’a pas été le cas. Finalement, quel sort
entendez-vous réserver à ces armes ?
Personnellement, je n’ai pas connaissance de ce
dossier ; j’étais en déplacement en France. Je déplore
toutefois la gestion du transfert de ce stock d’armes à
Anjouan. Cela aurait pu s’opérer autrement au lieu de se
faire dans la défiance et l’amateurisme. La question est
aujourd’hui au niveau des chefs des exécutifs sous la
médiation de la communauté internationale. Une solution
serait en vue, mais je ne saurais pas m’avancer
davantage.
Quand
bien même l’on est dans le même territoire, le transfert
de tout produit présumé dangereux (toxique ou dans le
cas précis, des armes de guerre), est soumis à des
règles. Il devait y avoir des documents
d’accompagnement. Je renvoie les lecteurs d’Al-watwan à
certaines dispositions du code de douanes. L’on a beau
dire qu’il s’agit d’un même territoire, d’accord. Mais,
en France, quand on est amené à acheminer des produits
aussi dangereux de commune à commune ou de département à
département, cela se fait toujours dans la transparence
et sur la base de supports documentaires.
Le
chef d’Etat-major a pourtant déclaré avoir produit tous
les documents nécessaires…
Le
service des douanes a dressé un procès-verbal
circonstancié ; il a saisi le parquet qui a ensuite
rendu un jugement et a prononcé la saisie de ces armes.
Dans le manifeste de fret dont je dispose une copie, il
n’est aucunement fait mention de ces équipements
militaires. Donc, ces armes ont été introduites
frauduleusement. Nous sommes donc devant un fait de
contrebande. Et il faut aussi tenir compte du contexte
politique dans lequel cette affaire est intervenue.
Puisque vous avez
porté l’affaire devant la justice, n’appartenait-il pas
au parquet de saisir ces armes en lieu et place de la
gendarmerie de l’île?
Le
parquet n’est pas habilité à garder des armes de guerre.
Il a autorisé leur transfert vers l’une des casernes de
la force de gendarmerie de l’île.
L’assemblée de
l’Union vient d’adopter une nouvelle loi électorale qui
oblige les présidents des îles à se démettre de leurs
fonctions pour pouvoir briguer un second mandat. Cette
loi heurte certaines dispositions de la constitution
d’Anjouan. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?
Le
nouveau code électoral ne heurte pas que la constitution
d’Anjouan ; il entre en contradiction avec toutes les
lois fondamentales des îles. Cette loi qui a servi hier
à l’élection du président Sambi ne serait pas adaptée à
faire élire les présidents des îles. C’est une entorse
grave à la démocratie et à l’autonomie des îles. Ce qui
était vrai hier pour Sambi ne l’est plus aujourd’hui
pour les présidentielles des îles. Il y a là anguille
sous roche.
Vous avez eu des
échanges très vifs avec l’ambassadeur Madéira. On a
ainsi vu un ministre de l’île tancer vertement l’envoyé
spécial de l’Union Africaine. Ne regrettez-vous pas avec
le recul cette brève passe d’armes de Beit-salam?
Je
regrette seulement le fait d’avoir admis les
journalistes dans la salle. La séance, composée de la
communauté internationale et des parties comoriennes,
était supposée se dérouler à huis clos. Je me demande à
qui profite le crime.
A propos
du ministre mozambicain Madéira, je lui ai juste rappelé
une règle élémentaire de bonne conduite. Cela peut
paraître osé de ma part, mais j’ai dit tout haut ce que
certains pensent tout bas. Sans avoir à lui manquer de
respect. Je lui ai demandé de donner la chance aux
responsables des îles de s’exprimer sur la paralysie des
travaux de la commission. Ce qui a été catégoriquement
refusé, mais le bon sens a fini par l’emporter. Je l’ai
dit avec ma force de conviction, sans chercher à
offenser. Mais, si l’ambassadeur Madéira s’est senti
outré, en bon citoyen, je lui présente toutes mes
excuses.
La
réconciliation nationale passe par une bonne
communication, horizontale et verticale, de toutes les
parties comoriennes en conflit. Il ne peut y avoir un
seul son de cloche.
Votre dernier
départ à l’extérieur a coïncidé avec la grave crise sur
la sécurité intérieure et la rupture des négociations
entre l’Union et les îles. La rumeur vous a prêté
l’intention de fomenter un coup contre le pouvoir
central. Que répondez-vous à cette rumeur ?
No
comment et joker.
C’est un fait
que l’île d’Anjouan continue de résister à l’Union.
Jusqu’où ira le gouvernement anjouanais dans ce bras de
fer ? Ne craignez-vous pas une radicalisation de
l’opinion en Grande-Comore ?
Nos
frères et sœurs de Ngazidja ont assez de maturité et
sont bien imprégnés du sens de la réconciliation
nationale pour comprendre qu’Anjouan n’a fait jusqu’ici
qu’inviter toutes les parties comoriennes, la communauté
internationale et la société civile à une stricte
application des textes. On ne peut donc pas parler de
radicalisation de l’opinion de Ngazidja parce
qu’ensemble nous formons un axe, parce qu’aussi, comme
l’a dit l’envoyé spécial du président de l’UA, ce qui
est demandé dans ce nouveau dispositif
politico-institutionnel, c’est la mise en exergue de
l’esprit de créativité et de compétitivité.
Peut-on dire que la
mesure d’interdiction de transporter des militaires à
Anjouan est aujourd’hui levée ?
Cette
disposition a prévalu dans un contexte particulier ;
elle nous était dictée malheureusement par un diktat de
l’Union. Et à mesures exceptionnelles, dispositions
spéciales.
Un compromis a été
trouvé sur le déploiement d’agents de la direction
nationale de la sûreté du territoire au port de
Mutsamudu et à l’aéroport de Ouani. Pourquoi le
gouvernement anjouanais est-il aussitôt revenu sur sa
décision. Peut-on dire que votre absence a lourdement
pesé dans ce dossier ?
Encore
une fois, je n’ai pas suivi les pourparlers. Je n’ai ni
les tenants, ni les aboutissants du compromis en
question. Mais si compromis il y a, je ne vois aucun
inconvénient à faire appliquer les termes dudit
compromis. Cette question fait référence à l’article 16
de la loi sur le partage des compétences en son intitulé
« Accès à l’immigration ». Je vous en fais lecture :
« L’Union fixe les orientations générales, le cadre
normatif ; l’Union et les îles en assurent
l’exécution ». Le même article stipule que les ports,
les hôtels, les postes et télécommunications,…relèvent
du régime des compétences partagées. Les concertations
doivent donc être engagées, non recourir à des méthodes
musclées.
Propos recueillis par
M.Inoussa/Al-watwan
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